Antonio SEGUI

Antonio SEGUI

Du 06.10.2006 au 26.11.2006

À propos de l’exposition

CRID’ART, espace dédié à l’art contemporain depuis 2002 à Amnéville-les-Thermes, près de Metz, propose une exposition de l’un des artistes incontournables de la scène contemporaine internationale, Antonio Seguí. Cet événement présente un ensemble de 80 œuvres réalisées ces 10 dernières années exposées, pour la plupart d’entre elles, pour la première fois au public.

Entre gravure, peinture et sculpture, Seguí nous entraîne une fois de plus dans un univers peuplé principalement de ses célèbres personnages, universels dans leur multiplicité, représentants anonymes d’un monde privé d’idéal. Le quotidien de la ville se transforme chez lui en une jungle de non-sens. Enfermés dans les limites réelles de l’ œuvre artistique, symboles des règles et du paraître de la société contemporaine, ces petits bonshommes ne trouvent aucun échappatoire à leur course désespérée.

Témoin de son temps, Seguí représente la vacuité de la vie de l’homme d’aujourd’hui, se servant du figuratif pour parvenir à l’abstraction de l’idée. L’effroi de l’existence ne passe pas par la représentation de l’horreur mais justement par celle de la banalité de la vie que ses visages vides renvoient à travers leur masque social. Antonio Seguí, le démiurge, a couru le monde, comme ses figurants qu’il dirige dans une mise en scène macabre. Le paradoxe est que l’artiste, lui, semble avoir trouvé son idéal dans la dénonciation de cette société vide de sens.

Peinture, crayon, fusain, pastel, papier journal, bois découpés…sont autant de techniques qu’utilise Antonio Seguí. Ces moyens mènent tous, au-delà de leurs disparités d’utilisation, au sentiment de cacophonie ambiante qui résonne dans ses tableaux.

 

 

 

par Françoise Monnin
texte du catalogue édité à l’occasion de l’exposition au CRID’ART

« Un demi-siècle est passé très vite »… En 1957, à vingt-trois ans, Antonio Seguí inaugurait, à Buenos Aires, sa première exposition personnelle. Il avait alors, déjà, visité l’Europe et l’Afrique, suivi des cours de sculpture et de peinture en Espagne et en France. Il commençait un tour de ll’Amérique Latine, projetait de s’installer au Mexique, afin d’étudier la gravure. Vivre, déjà, signifiait essentiellement courir le monde. Des oeuvres de cette jeunesse, il n’a rien conservé ; juste le souvenir d’une envie, d’inventer une peinture latine et politique ; de « trouver une écriture moderne, abstraite, afin qu’elle échappe à l’académisme et au commerce qui la guettait ». De retour à Buenos Aires, en 1961, il fallut toutefois constater combien « tout le monde était un formaliste ». Seguí renoua donc avec la figuration,trouva dans le dessin son identité et le défendit dès lors fermement. Même lorsque, devenu professeur à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris, bien des années plus tard, il se sentit très seul. « On y disait qu’il fallait supprimer le dessin car il nourrissait la création ».

Des hommes sans qualités

Depuis son installation en France, en 1963, Seguí dessine donc, des petits personnages sautillants, cernés par une ligne claire et ferme, inspirée par les contours de silhouettes qu’il découpe parfois dans des planchettes de bois. Tous ces êtres sont en marche, visiblement pressés, assurément sans but. Allégories d’une bonne part de l’humanité d’aujourd’hui, ils se dépensent pour conjurer l’absurdité de leur existence. Les mains dans les poches, le cerveau bien à l’abri sous un chapeau, ces passants sont civilisés. Homme des villes, ils se contrôlent. Archétypes de l’ordinaire, ils sont les cousins du professeur imaginé par l’écrivain argentin Borges, de l’arpenteur décrit par son confrère tchèque Kafka, de l’homme sans qualités, célébré par l’Autrichien Robert Von Musil, du mangeur de rognons immortalisé par l’Irlandais James Joyce, ou encore du commis voyageur
de l’Américain Arthur Miller… Bref, de tous les anti-héros, caractéristiques de la post-modernité, forgeant leur identité en embrassant la plus banale
des régularités. À Paris, ce Monsieur pourrait être responsable des objets trouvés. À Metz, à deux pas du centre d’art d’Amnéville où se déroule la
présente exposition, il pointerait quotidiennement au bureau de la sécurité sociale. Voici Monsieur tout le monde, Monsieur Nous, quand nous nous
prenons au sérieux parce que nous obéissons. Yeux ronds, lèvres pincées, complet veston, souliers cirés. Voilà pourquoi nous nous sentons si concernés par cette oeuvre, aujourd’hui, à Amnéville, tout comme à la foire d’art contemporain de Buenos Aires, dont Seguí sera cet été l’invité d’honneur.

Une exposition après l’autre

Seguí aurait pu être écrivain, comme en témoigna son expérience du journalisme, à Córdoba, et les nouvelles qu’il rédigea au Mexique. Il aime la littérature, française notamment, et c’est en partie pour elle qu’il a choisi Paris. « En Argentine, notre culture d’imagination, c’était Camus et Sartre. Picasso et Matisse aussi, même si nous n’avions jamais vu une seule de leurs peintures originales. Alors je suis venu, pensant rester quatre mois, et me rendre à New York ensuite ». Il se destinait à la sculpture, mais à vivre longtemps dans des chambres d’hôtel, il constata très vite combien le dessin accordait davantage de liberté. À la Biennale des Jeunes de Paris, en 1963, il représente l’Argentine. L’exposition grouille d’’énergie. David Hockney, par exemple, y incarne la Grande-Bretagne. Repéré par deux grandes galeries, Claude Bernard et Jeanne- Bucher, Seguí expose aussitôt dans leurs murs. « Vivre, plus ou moins bien, de ce qu’on fait, c’est déjà pas mal » ! Saint-Germain-des-Prés grouille alors d’intelligence. On y croise Ionesco, Beckett ou Adamov. Le jeune artiste travaille, procède par
séries, cessant un cycle de toiles sitôt qu’il a la sensation d’une trop grande « facilité ». Surgissent ainsi les vêtements abandonnés et les baigneurs
des années soixante, les ambiances nocturnes des années soixante-dix, les voyageurs des années quatre-vingt, les villes grouillantes dix ans plus
tard… Actuellement, il achève un nouvel ensemble de toiles, dont la composition est construite en larges bandes, ici, multicolores, là, sombres. « Le soleil ne sort pas pour tout le monde », tel est le thème, inspiré par un vieux film de Vittorio de Sica, Miracle à Milan, revu récemment ; un film dévoré une première fois durant l’adolescence, et jamais revu depuis.

Tout souvenir est enfance

« L’essentiel de ma peinture jaillit automatiquement, de mon enfance. Je fais ce que je peux. Sans intention d’être un peintre argentin, ni même sud-américain. L’Argentine ? Je dis toujours que j’y retournerai quand je serai grand ; quand j’arrêterai de fumer… En attendant, j’y passe pas mal de temps. Je n’ai pas pu couper mes racines». Plus que tout autre lieu, les borsalinos des hommes et les décolletés des femmes qui peuplent les toiles évoquent la ville de Córdoba, à cinquante kilomètres de laquelle l’artiste, chaque année, séjourne, dans la demeure de sa grandmère. Villas centenaires, chiens sans colliers, baignades estivales, danseurs de tangos, bien sûr… « Córdoba était, quand j’étais enfant, une cité vieille, belle, coloniale. C’était avant la construction, dans les années cinquante, de tous ces buildings qui l’ont rendu horrible ». Peindre, c’est souvent sublimer la nostalgie. Les personnages mis en scène en sont pourvus. Quasiment invisibles, fondus dans l’immensité de la planète, ils n’en dissimulent pas moins sous leurs apparences polies une palpitation réelle, pareille à celle des éléments d’architecture parfois insérés dans les compositions : des grandes maisons sages, à volets clos mais cheminées fumantes. Domestiqués, nous demeurons vibrants, comme en témoignent les codes graphiques signifiant le mouvement, constitués de quelques virgules, dont l’artiste rehausse les angles des corps qu’il dessine. Emprunts aux univers de la bande dessinée, de la caricature ou du dessin animé, ces lignes signifient que s’il y a errance, il n’y a pas moins énergie. Quand bien même l’automatisme ait remplacé l’espoir. Être discret ne signifie pas ne pas fonctionner, respirer, voir, préserver, tout au fond de soi, une part de rêve. Ainsi raisonne l’artiste depuis 1992, date à laquelle il a posé ses valises dans une grande et belle maison ancienne de la banlieue Sud de Paris. Une façade claire et silencieuse, derrière laquelle il a entreposé les collections d’art africain et précolombien qu’il constitue depuis cinquante ans. Incroyable musée ! Contrepoison à la sensation de stérilité engendrée par l’Occident…

Chacun de ces objets, en effet, intemporel, fait preuve d’une présence troublante. D’un bouillonnant silence. Installés en groupes dans toute la maison, disposés en fonction de leurs proximités d’origines géographiques et d’allures, ils constituent des foules dont « l’inquiétante étrangeté », aurait dit le psychanalyste Freud, est renforcée par la multiplication et par la
juxtaposition des ressemblances. Un phénomène identique se manifeste dans la construction des toiles récentes.

Figures du vertige

Plus fourmis que jamais, les personnages envahissent, aujourd’hui, tout l’espace de la toile, le parsemant tel un semis, hypnotique et cinétique.
Figures, ce sont surtout des signes, dont la multiplication provoque un effet hallucinogène. Tout est ici d’autant plus relatif que tout est visiblement infini. Dans ces oeuvres, il n’y a plus de plus court chemin, plus de perspective, rien que de la dérive. La foule mouchette le néant, dans une logique apparentée à celle du « all-over » pratiqué par le peintre américain Pollock il y a un demisiècle, ou par le minimaliste français Viallat voilà trente ans. Il s’agit d’une forme d’écriture automatique destinée à conjurer l’absence, à partir de lettres d’un curieux alphabet, constitué ici de petits hommes, de petites chaises, de petites maisons ou encore de petits chiens ; d’un petit
monde quasiment vu d’avion, ou du moins d’une fenêtre haute. Aucune lettre n’est reliée à sa voisine. Calligraphie de la solitude et de la déambulation, incarnation de l’existence « dans le calme et l’incommunication », l’ensemble provoque un vertige que seul tempère l’allure ludique des êtres dessinés.
« Je ne peux pas m’empêcher de faire un clin d’oeil », conclut Seguí. Comme pour s’excuser de donner de notre monde une vision désespérée, il
s’applique en effet, plus que jamais, à ne pas faire des humains des héros. Mais des acteurs, des clowns, tout au plus. La divine comédie est terminée depuis longtemps, mais la comédie humaine n’en finit pas d’être rejouée. Si le percevoir peut nous éprouver, lorsque Seguí le sublime, cela nous donne envie de sautiller. Encore et encore.

Françoise Monnin, historienne et critique d’art,
Paris, mai 2006.
Les propos de l’artiste ont été recueillis dans son
atelier, à Arcueil, en mai 2006.

 


1934
Naissance d’Antonio Seguí à Córdoba (Argentine).

1951-1954
Voyage en Europe et en Afrique.
Etudie la peinture et la sculpture en France et en Espagne.

1957
Première exposition individuelle en Argentine.
Voyage à travers l’Amérique du Sud et l’Amérique Centrale.
Séjourne au Mexique où il étudie toutes les techniques de la gravure.

1961
Retour à Buenos Aires – Argentine.

1963
S’installe à Paris, puis à Arcueil, où il vit actuellement.

Expositions :

Depuis 1957 Antonio Seguí a été présenté dans les plus prestigieuses galeries du monde entier. Ses
oeuvres figurent également dans plus d’une centaine de musées à travers le monde, notamment en
Allemagne, Brésil, Espagne, Etats-Unis, Japon, Suisse, Vénézuela…
En France, les oeuvres d’Antonio Seguí sont présentées, notamment :
Centre National d’Art Contemporain, Paris
Musée National d’Art Moderne, Centre Georges Pompidou, Paris
Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris
Fonds Régional d’Art Contemporain, Provence-Alpes-Côte-d’AzurFonds Départemental d’Art Contemporain, Seine Saint-Denis
Musée des Beaux-Arts, Tourcoing
MAC/VAL, Musée d’Art Contemporain du Val-de-Marne, Vitry-sur-Seine
Galerie Municipale, Vitry-sur-Seine
Musée des Beaux-Arts, Dôle
Musée de Peinture et de Sculpture, Grenoble
Musée Martiniquais des Arts des Amériques – M2A2, Le Lamentin (Martinique)
Musée des Beaux-Arts, Lyon
Musée Cantini , Marseille
Musée des Beaux-Arts, Orléans
Bibliothèque Nationale, Paris

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