SEGUI Antonio
Présentation de SEGUI Antonio
Biographie
CRIDART, espace dédié à lart contemporain depuis 2002 à Amnéville-les-Thermes, près de Metz, propose une exposition de lun des artistes incontournables de la scène contemporaine internationale, Antonio Seguí. Cet événement présente un ensemble de 80 uvres réalisées ces 10 dernières années exposées, pour la plupart dentre elles, pour la première fois au public.
Entre gravure, peinture et sculpture, Seguí nous entraîne une fois de plus dans un univers peuplé principalement de ses célèbres personnages, universels dans leur multiplicité, représentants anonymes dun monde privé didéal. Le quotidien de la ville se transforme chez lui en une jungle de non-sens. Enfermés dans les limites réelles de l uvre artistique, symboles des règles et du paraître de la société contemporaine, ces petits bonshommes ne trouvent aucun échappatoire à leur course désespérée.
Témoin de son temps, Seguí représente la vacuité de la vie de lhomme daujourdhui, se servant du figuratif pour parvenir à labstraction de lidée. Leffroi de lexistence ne passe pas par la représentation de lhorreur mais justement par celle de la banalité de la vie que ses visages vides renvoient à travers leur masque social. Antonio Seguí, le démiurge, a couru le monde, comme ses figurants quil dirige dans une mise en scène macabre. Le paradoxe est que lartiste, lui, semble avoir trouvé son idéal dans la dénonciation de cette société vide de sens.
Peinture, crayon, fusain, pastel, papier journal, bois découpés sont autant de techniques quutilise Antonio Seguí. Ces moyens mènent tous, au-delà de leurs disparités dutilisation, au sentiment de cacophonie ambiante qui résonne dans ses tableaux.
par Françoise Monnin
texte du catalogue édité à loccasion de lexposition au CRIDART
« Un demi-siècle est passé très vite » En 1957, à vingt-trois ans, Antonio Seguí inaugurait, à Buenos Aires, sa première exposition personnelle. Il avait alors, déjà, visité lEurope et lAfrique, suivi des cours de sculpture et de peinture en Espagne et en France. Il commençait un tour de llAmérique Latine, projetait de sinstaller au Mexique, afin détudier la gravure. Vivre, déjà, signifiait essentiellement courir le monde. Des oeuvres de cette jeunesse, il na rien conservé ; juste le souvenir dune envie, dinventer une peinture latine et politique ; de « trouver une écriture moderne, abstraite, afin quelle échappe à lacadémisme et au commerce qui la guettait ». De retour à Buenos Aires, en 1961, il fallut toutefois constater combien « tout le monde était un formaliste ». Seguí renoua donc avec la figuration,trouva dans le dessin son identité et le défendit dès lors fermement. Même lorsque, devenu professeur à lÉcole nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris, bien des années plus tard, il se sentit très seul. « On y disait quil fallait supprimer le dessin car il nourrissait la création ».
Des hommes sans qualités
Depuis son installation en France, en 1963, Seguí dessine donc, des petits personnages sautillants, cernés par une ligne claire et ferme, inspirée par les contours de silhouettes quil découpe parfois dans des planchettes de bois. Tous ces êtres sont en marche, visiblement pressés, assurément sans but. Allégories dune bonne part de lhumanité daujourdhui, ils se dépensent pour conjurer labsurdité de leur existence. Les mains dans les poches, le cerveau bien à labri sous un chapeau, ces passants sont civilisés. Homme des villes, ils se contrôlent. Archétypes de lordinaire, ils sont les cousins du professeur imaginé par lécrivain argentin Borges, de larpenteur décrit par son confrère tchèque Kafka, de lhomme sans qualités, célébré par lAutrichien Robert Von Musil, du mangeur de rognons immortalisé par lIrlandais James Joyce, ou encore du commis voyageur
de lAméricain Arthur Miller
Bref, de tous les anti-héros, caractéristiques de la post-modernité, forgeant leur identité en embrassant la plus banale
des régularités. À Paris, ce Monsieur pourrait être responsable des objets trouvés. À Metz, à deux pas du centre dart dAmnéville où se déroule la
présente exposition, il pointerait quotidiennement au bureau de la sécurité sociale. Voici Monsieur tout le monde, Monsieur Nous, quand nous nous
prenons au sérieux parce que nous obéissons. Yeux ronds, lèvres pincées, complet veston, souliers cirés. Voilà pourquoi nous nous sentons si concernés par cette oeuvre, aujourdhui, à Amnéville, tout comme à la foire dart contemporain de Buenos Aires, dont Seguí sera cet été linvité dhonneur.
Une exposition après lautre
Seguí aurait pu être écrivain, comme en témoigna son expérience du journalisme, à Córdoba, et les nouvelles quil rédigea au Mexique. Il aime la littérature, française notamment, et cest en partie pour elle quil a choisi Paris. « En Argentine, notre culture dimagination, cétait Camus et Sartre. Picasso et Matisse aussi, même si nous navions jamais vu une seule de leurs peintures originales. Alors je suis venu, pensant rester quatre mois, et me rendre à New York ensuite ». Il se destinait à la sculpture, mais à vivre longtemps dans des chambres dhôtel, il constata très vite combien le dessin accordait davantage de liberté. À la Biennale des Jeunes de Paris, en 1963, il représente lArgentine. Lexposition grouille d’énergie. David Hockney, par exemple, y incarne la Grande-Bretagne. Repéré par deux grandes galeries, Claude Bernard et Jeanne- Bucher, Seguí expose aussitôt dans leurs murs. « Vivre, plus ou moins bien, de ce quon fait, cest déjà pas mal » ! Saint-Germain-des-Prés grouille alors dintelligence. On y croise Ionesco, Beckett ou Adamov. Le jeune artiste travaille, procède par
séries, cessant un cycle de toiles sitôt quil a la sensation dune trop grande « facilité ». Surgissent ainsi les vêtements abandonnés et les baigneurs
des années soixante, les ambiances nocturnes des années soixante-dix, les voyageurs des années quatre-vingt, les villes grouillantes dix ans plus
tard
Actuellement, il achève un nouvel ensemble de toiles, dont la composition est construite en larges bandes, ici, multicolores, là, sombres. « Le soleil ne sort pas pour tout le monde », tel est le thème, inspiré par un vieux film de Vittorio de Sica, Miracle à Milan, revu récemment ; un film dévoré une première fois durant ladolescence, et jamais revu depuis.
Tout souvenir est enfance
« Lessentiel de ma peinture jaillit automatiquement, de mon enfance. Je fais ce que je peux. Sans intention dêtre un peintre argentin, ni même sud-américain. LArgentine ? Je dis toujours que jy retournerai quand je serai grand ; quand jarrêterai de fumer En attendant, jy passe pas mal de temps. Je nai pas pu couper mes racines». Plus que tout autre lieu, les borsalinos des hommes et les décolletés des femmes qui peuplent les toiles évoquent la ville de Córdoba, à cinquante kilomètres de laquelle lartiste, chaque année, séjourne, dans la demeure de sa grandmère. Villas centenaires, chiens sans colliers, baignades estivales, danseurs de tangos, bien sûr… « Córdoba était, quand jétais enfant, une cité vieille, belle, coloniale. Cétait avant la construction, dans les années cinquante, de tous ces buildings qui lont rendu horrible ». Peindre, cest souvent sublimer la nostalgie. Les personnages mis en scène en sont pourvus. Quasiment invisibles, fondus dans limmensité de la planète, ils nen dissimulent pas moins sous leurs apparences polies une palpitation réelle, pareille à celle des éléments darchitecture parfois insérés dans les compositions : des grandes maisons sages, à volets clos mais cheminées fumantes. Domestiqués, nous demeurons vibrants, comme en témoignent les codes graphiques signifiant le mouvement, constitués de quelques virgules, dont lartiste rehausse les angles des corps quil dessine. Emprunts aux univers de la bande dessinée, de la caricature ou du dessin animé, ces lignes signifient que sil y a errance, il ny a pas moins énergie. Quand bien même lautomatisme ait remplacé lespoir. Être discret ne signifie pas ne pas fonctionner, respirer, voir, préserver, tout au fond de soi, une part de rêve. Ainsi raisonne lartiste depuis 1992, date à laquelle il a posé ses valises dans une grande et belle maison ancienne de la banlieue Sud de Paris. Une façade claire et silencieuse, derrière laquelle il a entreposé les collections dart africain et précolombien quil constitue depuis cinquante ans. Incroyable musée ! Contrepoison à la sensation de stérilité engendrée par lOccident
Chacun de ces objets, en effet, intemporel, fait preuve dune présence troublante. Dun bouillonnant silence. Installés en groupes dans toute la maison, disposés en fonction de leurs proximités dorigines géographiques et dallures, ils constituent des foules dont « linquiétante étrangeté », aurait dit le psychanalyste Freud, est renforcée par la multiplication et par la
juxtaposition des ressemblances. Un phénomène identique se manifeste dans la construction des toiles récentes.
Figures du vertige
Plus fourmis que jamais, les personnages envahissent, aujourdhui, tout lespace de la toile, le parsemant tel un semis, hypnotique et cinétique.
Figures, ce sont surtout des signes, dont la multiplication provoque un effet hallucinogène. Tout est ici dautant plus relatif que tout est visiblement infini. Dans ces oeuvres, il ny a plus de plus court chemin, plus de perspective, rien que de la dérive. La foule mouchette le néant, dans une logique apparentée à celle du « all-over » pratiqué par le peintre américain Pollock il y a un demisiècle, ou par le minimaliste français Viallat voilà trente ans. Il sagit dune forme décriture automatique destinée à conjurer labsence, à partir de lettres dun curieux alphabet, constitué ici de petits hommes, de petites chaises, de petites maisons ou encore de petits chiens ; dun petit
monde quasiment vu davion, ou du moins dune fenêtre haute. Aucune lettre nest reliée à sa voisine. Calligraphie de la solitude et de la déambulation, incarnation de lexistence « dans le calme et lincommunication », lensemble provoque un vertige que seul tempère lallure ludique des êtres dessinés.
« Je ne peux pas mempêcher de faire un clin doeil », conclut Seguí. Comme pour sexcuser de donner de notre monde une vision désespérée, il
sapplique en effet, plus que jamais, à ne pas faire des humains des héros. Mais des acteurs, des clowns, tout au plus. La divine comédie est terminée depuis longtemps, mais la comédie humaine nen finit pas dêtre rejouée. Si le percevoir peut nous éprouver, lorsque Seguí le sublime, cela nous donne envie de sautiller. Encore et encore.
Françoise Monnin, historienne et critique dart,
Paris, mai 2006.
Les propos de lartiste ont été recueillis dans son
atelier, à Arcueil, en mai 2006.
1934
Naissance d’Antonio Seguí à Córdoba (Argentine).
1951-1954
Voyage en Europe et en Afrique.
Etudie la peinture et la sculpture en France et en Espagne.
1957
Première exposition individuelle en Argentine.
Voyage à travers lAmérique du Sud et lAmérique Centrale.
Séjourne au Mexique où il étudie toutes les techniques de la gravure.
1961
Retour à Buenos Aires – Argentine.
1963
Sinstalle à Paris, puis à Arcueil, où il vit actuellement.
Expositions :
Depuis 1957 Antonio Seguí a été présenté dans les plus prestigieuses galeries du monde entier. Ses
oeuvres figurent également dans plus dune centaine de musées à travers le monde, notamment en
Allemagne, Brésil, Espagne, Etats-Unis, Japon, Suisse, Vénézuela
En France, les oeuvres dAntonio Seguí sont présentées, notamment :
Centre National dArt Contemporain, Paris
Musée National dArt Moderne, Centre Georges Pompidou, Paris
Musée dArt Moderne de la Ville de Paris
Fonds Régional dArt Contemporain, Provence-Alpes-Côte-dAzurFonds Départemental dArt Contemporain, Seine Saint-Denis
Musée des Beaux-Arts, Tourcoing
MAC/VAL, Musée dArt Contemporain du Val-de-Marne, Vitry-sur-Seine
Galerie Municipale, Vitry-sur-Seine
Musée des Beaux-Arts, Dôle
Musée de Peinture et de Sculpture, Grenoble
Musée Martiniquais des Arts des Amériques M2A2, Le Lamentin (Martinique)
Musée des Beaux-Arts, Lyon
Musée Cantini , Marseille
Musée des Beaux-Arts, Orléans
Bibliothèque Nationale, Paris
Les œuvres de SEGUI Antonio
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